Division d'Oran 14 avril 1853
(Plaine de l'Habra)
Subdivision de Mascara Perrégaux
Projet de création d'un
Village au débouché de
l'Habra dans la plaine
Procès-verbal d'enquête
L'an mil huit cent cinquante-trois le douze Avril.
Conformément 1° aux instructions de Monsieur le Gouverneur Général en date du 2 avril 1846, 2° à l'ordre de Monsieur le Général commandant la province d'Oran en date du 24 janvier 1853, 3° aux ordres de Monsieur le Colonel commandant la Subdivision de Mascara.
Sur la convocation du Chef du Génie se sont réunis en commission:
MM. Marchand, Capitaine du Génie en chef par intérim président
Saâl, Chef du bureau arabe
Dulac, Chirurgien aide major au 24° Spahis
Vigiev, Vérificateur des domaines, secrétaire
La commission s'est transportée au point où la rivière de l'Habra quittant les montagnes, entre dans la plaine de Ceirat. Une vallée large et fertile, parcourue par le lit sinueux de la rivière bordée de tamarins, une plaine immense qui s'étend à perte de vue du côté du nord, une rivière qui en été même est toujours abondante, du bois à une faible distance, de la pierre à proximité, telles sont les conditions actuelles et assurément très favorables d'un village qui aura sans nul doute dans l'avenir une grande importance.
Les travaux d'irrigation et les communications nouvelles ne pourront manquer d'augmenter les conditions avantageuses que la nature offre d'elle même et que le travail de l'homme est destiné à rendre plus favorable encore.
Il est impossible de fixer en ce moment d'une manière absolue, la position à donner au centre nouveau. Le tracé de la route qui doit joindre Mascara à Mostaganem par la vallée de l'Habra, n'est pas encore arrêté, mais dès à présent il est permis de croire que, ce tracé à l'entrée de la plaine se trouvera sur la rive droite de la rivière. Le plateau sur lequel est situé le caravansérail actuellement existant se trouvera donc sur la route même et sera très vraisemblablement le point qui devra être assigné au village.
D'un autre côté, l'étude relative au barrage qui doit relever le niveau des eaux de l'Habra et les verser dans la plaine, n'est pas encore faite et sera commencée seulement cette année. De la hauteur et du parcours des canaux d'irrigation, résulteront des conditions nouvelles et qui pourront être plus ou moins avantageuses pour le village suivant qu'il sera placé un peu plus à droite ou un peu plus à gauche: mais les conditions générales n'en seront pas changées et resteront telles qu'elles sont exposées ci-après pour le plateau où sont situés le caravansérail et la redoute de Perrégaux.
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Sécurité et influence politique
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Le plateau où est placé le caravansérail est défendu du côté de l'Ouest et du côté du Sud par les escarpements de l'Habra. Il domine la plaine qui est devant lui et la vallée qui est derrière, et n'est dominé lui-même à l'est que par une montagne assez éloignée pour ne pas être à craindre. Situé à quelques lieux seulement de Saint-Denis du Sig à l'Ouest, de l'Oued El Hammam et de Mascara au Sud, de l'Aïn Nouissy au Nord, le village projeté est susceptible de recevoir promptement des secours en cas d'attaque, et l'importance même qu'il est appelé à prendre lui permettra, dans un avenir rapproché, d'avoir une protection suffisante dans sa propre population.
Cette position d'ailleurs est militaire, et ce qui le prouve c'est qu'elle avait été choisie pour l'établissement d'un ouvrage en terre qui subsiste encore et qui est connu sous le nom de redoute Perrégaux.
L'occupation de ce point par un centre considérable de population française sera loin d'être sans influence politique, elle est le centre d'un marché arabe considérable et occupe le noeud de différentes routes qui relient à la plaine le pâté montagneux et boisé des Beni Chougran.
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Salubrité
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La hauteur du plateau qu'occupera le village, la nature des terrains environnants, l'accès facile des vents du Nord; d'un autre côté la montagne boisée et le cours sinueux de l'Habra sur lesquels les vents du Sud perdront en passant une partie de leur sécheresse, sont des garanties certaines de salubrité. Cependant, il est à remarquer que les vents du nord-ouest doivent amener fréquemment les miasmes délétères que produisent pendant l'été les marais de la Macta; mais déjà la question du dessèchement de ce marais a été étudiée; des fonds sont alloués pour l'étude du barrage et des grands canaux d'arrosage au moyen desquels on pourra porter au loin les eaux de l'Habra qui dès lors deviendront une cause de fertilité au lieu d'être une source d'infections et de maladies.
Il est à désirer du reste, qu'outre l'assainissement produit par l'emploi d'une grande partie des eaux de l'Habra en irrigation, des plantations considérables de peupliers et de saules soient faites dans les parties les plus basses des marais pour arrêter et absorber au passage, et au moment même de leur dégagement, les gaz nuisibles à l'homme et aux animaux, mais qui par une heureuse compensation naturelle sont absorbées par les feuilles des arbres et des plantes pour servir à leur nutrition.
La position du village projetée deviendra alors complètement favorable sans le rapport de la salubrité et dès aujourd'hui les renseignements pris par la commission auprès de l'Agha des Beni Chougran permettent de croire que les miasmes des marais n'étendent leur influence que dans certaines parties de la plaine et que le plateau de la Redoute Perrégaux et du caravansérail n'auraient rien à en craindre. Sans partager complètement cet opinion, la commission est d'avis que la position en question doit être considérée comme plus avantageuse dès à présent, sans le rapport de la salubrité, que beaucoup d'autres points occupés et entre autre que le village de Saint-Denis du Sig.
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Propriété
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Les terres à affecter au village sont la propriété de plusieurs individus mais l'Etat possède à proximité de vastes étendues qui permettront de faire des échanges. Cette opération ne souffrira aucune difficulté.
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Communications
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La route commerciale de Mascara à Mostaganem passera nécessairement par la vallée de l'Oued El Hammam, et tout fait penser qu'on pourra la tracer de telle sorte qu'elle traversera le village, lequel sera relié de cette manière, non seulement avec Mascara et Mostaganem, mais encore avec le village de l'Oued El Hammam; depuis ce dernier point, une route qui sera prochainement achevée, permettra d'aller jusqu'à Bou Hanifia (Eaux chaudes).
L'ancien sentier turc, très fréquenté par les arabes, lequel suit le pied des montagnes et passe à Assi Chouil et plus loin à Relizane, joindra ce dernier oint à Saint-Denis du Sig et facilitera beaucoup les relations du village projeté avec Saint-Denis du Sig d'une part, et d'autre part avec Relizane et Dar Ben Abd Allah quand ces derniers centres de population seront créés.
Plusieurs traverses arabes qui vont depuis le village à Mascara ou à El Bordj sillonnent la montagne dans toutes les directions et plusieurs d'entre elles étant d'un accès facile pour les bêtes de somme augmentent encore la facilité de la circulation.
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Eaux
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Le village sera alimenté par les eaux de la rivière qui sont saines et ne sont nullement saumâtres. Ces eaux peuvent être amenées par les canaux d'irrigation très près du village et probablement sur le plateau même. Cependant comme en été toutes les eaux de rivière sont un peu chargées de matières végétales en suspension et de sel en dissolution, il sera bon de faire un puits à proximité du village ou dans le village même. Le fond de ce puits, inférieur au cours de la rivière recevra les eaux qui filtreront à travers le sable et les galets dont se compose la couche de terrain solide où l'Habra a pu prendre son lit définitif.
Une source de bonne eau existe dans la montagne à deux kilomètres environ, l'eau de cette source est amenée à la maison de l'Agha des Beni Chougran; mais elle n'est pas assez forte pour servir à l'alimentation d'une population un peu considérable, et ne serait pas amenée sur le plateau du caravansérail sans difficultés.
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Commerce
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Un marché arabe se tient aux environs de la redoute Perrégaux le jeudi de chaque semaine; c'est un des plus importants de la subdivision de Mascara. Il est fréquenté par les Beni Chougran, les Bordjia de la plaine; on y rencontre aussi des Flitta, des Medjeher et des habitants de toutes les tribus des environs. D'un autre coté, le nouveau centre sera un point de transit continuel pour le commerce qui se fera à Mostaganem et toute la subdivision de Mascara.
Entre le village de l'Oued El Hammam et Mascara, l'Habra a une pente assez rapide et lorsque la route sera faite, il est certain que de nombreuses usines s'établiront et s'échelonneront sur le cours de la rivière, moulin à farine, à plâtre ou à tan, tanneries, huileries.
Le village projeté deviendra donc un intermédiaire naturel entre les cultivateurs de la plaine et les usiniers de la vallée.
Son importance s'accroît encore de relations de toutes sortes qu'il établira avec Saint-Denis du Sig d'une part et Relizane d'autre part, quand ce point important sera créé.
En un mot la position choisie est extrêmement avantageuse au point de vue de l'agriculture, de l'industrie et du commerce.
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Dépense
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On trouve à peu de distance de la pierre à bâtir, de la pierre à chaux. La proximité des bois permettra d'avoir la chaux à bas prix. La nature du terrain permet de supposer qu'on trouvera des argiles propres à la briqueterie et à la tuilerie. Les dépenses relatives à la construction seront donc ordinaires.
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Réserves
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Il faut remettre à l'époque où la position du village sera complètement déterminée la désignation des réserves à faire. Dès à présent cependant on peut dans l'intérêt de la salubrité exprimer la condition que sur toute concession faite dans les parties plantées de tamarins, le concessionnaire ne pourra couper les tamarins existants sans autorisation et seulement deux ans après avoir planté sur son terrain des peupliers, ormes, frênes ou trembles, à raison de deux pour chaque tamarin abattu.
Fait à clos à Mascara, le quatorze avril mil huit cent cinquante trois.
Le 29 juillet 1858, un décret signé par l'empereur Napoléon III entérinait la création du village de Perrégaux.
Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français,
A tous présents et à venir, Salut.
Vu les ordonnances des 21 juillet 1845, 5 juin et 1° septembre 1847
Vu la délibération du conseil de gouvernement de l'Algérie du 21 mai 1858
Sur le rapport du Prince chargé du Ministère de l'Algérie et des colonies, avons décrété et décrétons ce qui suit:
Art 1° - Il est créé dans la subdivision de Mascara, à vingt-huit kilomètres au nord de cette ville, sur la route qui la relie à Mostaganem, au lieu dit Redoute Perrégaux, un centre de population de cent vingt-huit feux, qui prendra le nom de Perrégaux.
Art 2° - Un territoire agricole de deux mille deux cent soixante-cinq hectares, quarante ares, est affecté à ce centre de population conformément au plan ci annexé.
Art 3° - Le Prince chargé du Ministre de l'Algérie et des colonies est chargé de l'exécution du présent décret.
Fait à St-Cloud, le 29 juillet 1858.
Signé: Napoléon.